Libres d’obéir, le management, du nazisme à aujourd’hui, par Johann Chapoutot, dans la collection nrf essais, aux éditions Gallimard.
Johann Chapoutot est un professeur d’université, spécialiste de l’histoire culturelle du nazisme. Son CV est plutôt sérieux. Et le sujet de son livre l’est tout autant.
Libres d’obéir retrace la carrière de Reinhard Höhn, juriste né en 1904, général de la SS, théoricien de la disparition de l’Etat et de son remplacement par la communauté (au sens nazi du terme). Adepte du darwinisme social, il est un partisan du “management par délégation”, adaptation de l’Auftragstaktik (tactique par la mission) de l’armée prussienne au monde de l’entreprise et de l’administration. Ce mode de management, par lequel la liberté de moyens est laissée à l’exécutant pour atteindre le but fixé par le manager, s’inspire de l’armée prussienne du début du 19e siècle, et a été appliqué par les nazis pendant leur période à la tête de l’Allemagne : Le travailleur n’est plus un sous fifre mais un collaborateur, qui suit le manager par “envie” et non par coercition, dans une communauté d’intérêts. Il faut faire croire à l’employé qu’il est libre et participe à la vie et aux choix de l’entreprise (ou de l’administration), quand sa seule possibilité est d’obéir.
Reinhard Höhn est sorti de la guerre sans être poursuivi ou inquiété, et a ensuite fondé, soutenu par le patronat allemand, une école de management, où il a formé, en compagnie d’anciens camarades SS, des générations de décideurs et petits chefs (on parle de 700 000 cadres et dirigeants d’entreprises ou d’administration), jusque dans les années 1990.
Un livre éclairant sur un pan assez méconnu de l’Allemagne nazie, et légèrement effrayant, le vocabulaire et les méthodes présentées étant très contemporaines…