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Pour un anarchisme révolutionnaire

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Pour un anarchisme révolutionnaire, par le collectif Mur par Mur, aux éditions L’Échappée.

Je ne crois pas en la Révolution, celle avec un grand R et un grand soir, et ai toujours eu du mal à concevoir comment l’anarchie pourrait s’appliquer à un niveau supérieur à une communauté. Mais je suis curieux de nature, et j’aime comprendre, c’est pourquoi ce livre m’a attiré.

Essai et/ou tract politique, il est découpé en trois parties inégales (en contenu et en longueur) :

  1. La première partie reprend l’histoire de l’anarchisme, et ses penseurs principaux (Kropotkine, Bakounine, Malatesta – dont se réclament les auteurs), de manière très didactique et intéressante, tout en critiquant leur vision scientiste, et en remettant en perspective le fait que l’État et le capitalisme sont intrisèquement liés, et qu’il n’est pas possible – pour les anarchistes – de supplanter le capitalisme sans détruire l’État (détruire et non renverser. Il ne faut plus d’État, c’est l’erreur des communistes autoritaires selon les auteurs). Elle aborde les grandes familles anarchistes du début du 20e siècle (communistes libertaires, libertaires individualistes – qui donneront naissance au mouvement libertarien, synthésistes, anarcho-syndicalistes – et leurs tentations autoritaires), et mène une attaque assez forte des mouvements post-anarchistes de la fin du 20e - début du 21e siècles, au travers de deux axes : L’individualisation de la déconstruction, et l’impasse de l’appélisme.
    Les auteurs portent un regard très sévère sur les changements apparus dans les luttes depuis les années 80, en particulier sur l’intersectionnalité, qu’ils reprochent aux tenants de la French Theory, pour laquelle tout est pouvoir. Et si tout est pouvoir, il n’est pas possible de construire la sociéte libertaire idéale, où rien n’est pouvoir. L’autre point étant le saucissonage des luttes, qui détourne le prolétariat de la lutte principale, la lutte des classes. Les luttes sont devenues individuelles, par morcelage –artificiel – des oppressions, et ce morcelage empèche la prise de conscience de classe, en opposant des membres de la classe, au profit de la classe dirigeante. L’appélisme (surtout connu du grand public via l’affaire Tarnac et le Comité invisible) en prend également pour son grade, les auteurs reprochant aux appélistes une vision élitiste, une stratégie (la désertion) inefficace, et une tendance au compromis et à la compromission avec l’État (par exemple sur la ZAD de NDDL). Les auteurs partent ensuite dans une tentative de définition de l’être et de la condition humaine, qui flirte avec la psychanalyse et m’a semblé très brouillonne. L’idée principale est que l’humain n’est pas une machine, et que le ratage et l’échec font partie de sa condition. Ce sont même les principales composantes de son être, et c’est ce qui doit mener la réflexion révolutionnaire.

  2. La deuxième partie, intitulée Pour une révolution anarchiste, essaye de définir la révolution, en une synthèse lacano-bakounienne, qui s’accorde sur la part non-civilisée de l’humain et la division entre le réel et la représentation du réel (le langage). Les auteurs vont y critiquer la psychiatrie moderne, qui ne serait qu’une camisole – chimique ou physique – pour les prolétaires, le transhumanisme, qui vise à enlever la part non-civilisée de l’humain pour en faire une machine et la surveillance générale – externalisée ou internalisée.
    Les auteurs vont ensuite essayer de définir ce que doit être la révolution, et ce qu’elle ne doit pas être. Elle doit détruire le monde d’avant, et non pas essayer de construire autour, ou de l’adapter. Elle doit remettre tout à plat, du passé faire table rase, pour pouvoir faire naître un nouveau monde, qui sera plus juste et égalitaire.
    Le dernier chapitre de cette seconde partie va ensuite mettre en opposition pouvoir et politique, en appuyant sur le fait que l’anarchisme n’est pas le manque d’organisation, mais un autre mode d’organisation, non basé sur le pouvoir et la coercition.

  3. C’est dans cette troisième partie que les auteurs vont définir le travail, qu’ils ont conspué depuis le début du livre. Cette définition n’est pas la définition classique du terme. Le travail, pour les auteurs, est le labeur qui n’est pas nécessaire à la subsistance du travailleur, c’est à dire toute la plus-value du travail, qui va alors enrichir le capitaliste et l’État. Cette définition particulière – qui correspond au travail abstrait de Marx – eut été bienvenue un peu plus tôt dans le livre…
    De même, le rappel historique sur l’industrialisation, la privatisation des communs, la paupérisation des populations et l’aliénation de l’usine, toute cette mise en perspective aurait sans doute gagnée à être présentée plus tôt, ce qui aurait permis de comprendre plus facilement les volontés de destruction de l’ancien monde, beaucoup plus que les élucubrations sur le trou de l’être. Ils essayeront ensuite d’esquisser ce que pourrait être le communisme libertaire, liberé de l’économie et de la coercition de l’industrie, en s’appuyant sur les exemples de l’Espagne lors de la guerre civile.

Et c’est là que je bloque. Si je suis assez d’accord avec l’analyse sur l’industrie aliénante, sur l’impasse de l’appélisme et la grossière erreur du transhumanisme, sur la nécessité de retrouver une conscience de classe – exploités économiques contre exploiteurs –, plusieurs choses me dérangent :

  • Je ne vois pas comment une société sans industrie ne serait pas un retour en arrière catastrophique en terme de santé publique, en particulier dans un contexte de fédérations de communes telle que présentée par les auteurs.
  • Je ne vois pas non plus comment une telle fédération pourrait fonctionner concrètement. Les échanges de biens physiques resteront nécessaires et les matières premières aussi. Un système de troc risque rapidement de se mettre en place, associé à une valorisation des biens échangés, ce qui revient à un échange capitalistique, la valorisation du bien étant celle du travail nécessaire pour le produire, selon la définition même des auteurs.

En bref, une première partie historique intéressante dans sa mise en perspective, une troisième partie qui aurait dû venir plus tôt, et un lecteur non convaincu. Mais un lecteur qui ne regrette pas cette lecture, informative et enrichissante, qui ouvre des perspectives et pose de nouvelles questions.