L’Ismée, de Cilette Ofaire, aux Editions de l’Aire.
Cilette Ofaire est une femme qui a eu une vie étonnante. Née dans le Val-de-Travers à la fin du 19e siècle, elle décide de devenir peintre contre la volonté de sa famille, épouse Charles Hofer, artiste suisse, en 1914 et part vivre à Paris avec lui, avant que celui-ci ne s’engage dans l’armée française. Elle restera deux ans à Paris à l’attendre, vivant d’expédients, puis l’aidera à déserter à Genève, où elle travaillera pour subvenir à leurs besoins, son mari étant devenu neurasthénique. Ils achètent un bateau sur un coup de tête, au début des années 20, puis parcourent l’Europe sur les canaux, en faisant des expositions dans les différentes villes où ils s’arrêtent. Ils changeront de bateau en 1926, pour un bateau plus adapté à la navigation en mer, puis achèteront, en lançant une souscription auprès de leurs amis, un yacht à vapeur en 1932, L’Ismée. Après l’avoir retapé ensemble, Charles et Cilette se séparent, et elle reste à bord du bateau, avec Etorre, son “fidèle équipage”.
C’est le début du roman autobiographique, qui l’emmènera en deux ans de La Rochelle à Ibiza, où elle sera confrontée à la guerre civile espagnole, qui ébranlera sa foi naturelle en l’humain, mais ne la détruira pas. Elle nous raconte ses problèmes avec les autorités, portuaires ou non, ses rencontres dans une péninsule ibérique au bord de la bascule, ses soucis pour trouver l’argent et le charbon nécessaires à la suite de son voyage.
Peintre de formation, elle ne se sent pas légitime à écrire, elle qui publiera son premier roman, Le San Luca, en 1934, et qui sera comparée à Katherine Mansfield et Joseph Conrad. Elle partage ses craintes, son amour de la mer et de son navire, ses histoires d’équipage, qui est sa famille choisie, et le déchirement de l’abandon.
Elle vivra le reste de sa vie dans le Sud de la France, avec son équipage, qui lui restera fidèle. Tombée sous le charme d’un mythomane, elle perdra tout le reste de son argent et sera aidée par des amis restés en Suisse, pays qu’elle évitera au maximum toute sa vie, car lui rappelant son enfance malheureuse.
Autrice portée au pinacle, elle sera oubliée, non rééditée jusque dans les années 90. Cette édition de L’Ismée est accompagnée d’une partie de son journal de bord, rempli de pictogrammes, et d’une histoire de sa vie par l’historien zurichois Charles Linsmayer.
Un récit à côté, qui raconte une vie peu banale, avec beaucoup d’amour et de recul. Une histoire qui m’a touché.