Les Seigneurs de l’Instrumentalité, par Cordwainer Smith, traduit de l’anglais par Michel Demuth, Alain Dorémieux, Denise Hersant, Yves Hersant, Simone Hilling et Pierre-Paul Durastanti
Il est un exercice auquel se sont pliés les grands auteurs de science-fiction du 20ème siecle, c’est l’histoire du futur. Que ce soit Isaac Asimov, avec Fondation, ou Robert Heinlein, avec L’histoire du futur (quel originalité !). C’est sa vision du futur que nous propose Cordwainer Smith, dans le cycle des Seigneurs de l’Instrumentalité.
Un mot sur l’auteur, tout d’abord. Cordwainer Smith n’est pas un auteur prolixe. On lui doit les nouvelles et le roman qui composent ce cycle, et quelques nouvelles autres, mais c’est à peu près tout. Vous vous en serez douté, personne n’appellerait son enfant Cordonnier Forgeron, Cordwainer Smith est donc un pseudonyme, derrière lequel s’est caché (jusqu’à sa mort en 1966) Paul Linebarger, universitaire spécialiste de l’Asie et de la guerre psychologique. Linebarger a vécu une vie complète : filleul de Sun Yat-Sen, confident de Chang-Kai-Shek, auteur de Psychological Warfare, consultant auprès de l’armée britannique en Birmanie, puis auprès de Kennedy…
Composé de 29 (ou 33) nouvelles et un roman, le cycle des Seigneurs de l’Instrumentalité commence en 1945, pour se dérouler sur plusieurs millénaires. L’humanité, sous la férule des Seigneurs de l’Instrumentalité du Genre Humain, y découvrira le vol interplanétaire et les mystères que recèle l’espace, ainsi que ses dangers. Elle perdra son humanité, puis la retrouvera.
Il est difficile de résumer un univers aussi vaste et riche. Smith nous mène dans son univers en construisant une mosaïque d’histoires qui ne sont pas des suites, mais des vignettes de temps, des images d’un futur qui pourrait être, liées entre elles par cet univers que tisse l’auteur.
Smith n’est pas un auteur de space-opera, il cherche plutôt à décrypter les relations humaines, et comme tout auteur de science-fiction, il dénonce les problèmes de son époque au travers de ses histoires. En l’occurrence, c’est la ségrégation raciale et le mouvement des droits civils que nous raconte en filigrane Smith, avec le sous-peuple et son combat pour l’égalité. Il met également sa connaissance des relations internationales et de la culture chinoise à profit, au travers des personnages et des histoires qu’il nous propose, ainsi que dans sa façon d’écrire, qui se rapproche du style chinois traditionnel. On y retrouve également des clins d’oeil à l’histoire européenne : La martyre du sous-peuple se nomme D’Joan, l’Instrumentalité est créée par une descendante d’un savant allemand forcé de travailler pour les nazis… Stoppé par la mort de l’auteur en 1966, le cycle n’a pas de fin, mais n’en a pas vraiment besoin.
Publié entre 1950 et 1965 dans différents magazines et recueils, le cycle a été réuni dans un coffret dans la collection Folio SF, numéro 165 à 168.